Aujourd’hui, Virginie Recoura nous livre sa vision de la douance par le biais de l’interview “Ma douance du tac au tac.” Merci Virginie ! Elle est Directrice technique éco-conception dans l’économie circulaire des emballages ainsi que Déléguée nationale aux relations médias pour MENSA et membre de l’ANPEIP (Association Nationale Pour les Enfants Intellectuellement Précoces) et maman de 2 petites HPI (5 et 8 ans). Virginie vit actuellement à Paris.
.SI JE POUVAIS CHOISIR, SERAIS-JE SURDOUÉ·E?
La question ne se pose pas puisque la douance fait partie intégrante de ma vie. C’est ma « normalité » et c’est une caractéristique physiologique avant tout. Donc je ne souhaiterais rien changer de ce que je suis.
.CE QUE C’EST ÊTRE SURDOUÉ·E POUR MOI
Être engagé·e et passionné·e tout en étant pragmatique et lucide sur le monde qui nous entoure. C’est tout le paradoxe.
Mais avant tout, en réalité, un surdoué se sent normal au quotidien, on ne le dit pas suffisamment. Tout est un peu exacerbé, c’est tout et aussi simple que cela.
.SI JE DEVAIS CHOISIR UNE IMAGE OU UN MOT CLÉ QUI RÉSUME CE QUE C’EST ÊTRE SURDOUÉ·E
Être surdoué, c’est être passionné.
.DEPUIS COMBIEN DE TEMPS JE LE SAIS
Depuis juin 2020 officiellement, suite à la passation du WAIS IV.
J’ai tout d’abord découvert que ma fille aînée était HPI suite à des problèmes de harcèlement survenus très tôt à l’école, en Moyenne Section. Je l’ai emmenée consulter une neuropsychologue pour avoir un éclairage sur les difficultés qu’elle rencontrait. C’est elle qui a évoqué le sujet du HPI et qui a proposé la passation du test WPPSI-IV. Je ne connaissais pas du tout le sujet, j’étais effrayée à l’époque à l’idée d’avoir une enfant surdouée…
Lors de la restitution de son bilan, la neuropsychologue a noté dans le compte-rendu : « notons un profil de HPI chez la mère ». Je ne m’attendais pas à cela, je venais pour ma fille… Ça a été un tsunami émotionnel.
J’ai par la suite découvert que j’avais passé des tests avec une psychologue scolaire lorsque j’étais enfant car j’avais appris à lire seule. J’ai découvert cela récemment. À l’époque, il n’y avait pas autant de connaissances que maintenant sur les enfants surdoués. Donc on m’a juste dit que j’étais intelligente et c’est tout. J’étais très adaptée au système scolaire, sportive. Le genre de petite fille qui ne posait pas de problème. Je me suis un peu oubliée dans l’histoire, voulant coller à ce que l’on attendait de moi.
.PAR QUELLES PHASES JE SUIS PASSÉ DEPUIS LA DÉCOUVERTE
Tout d’abord il y a eu une phase de déni, je n’étais pas certaine de la véracité du test. Pourtant j’avais été prévenue…
Puis a suivi une phase de découverte du HPI et de ma propre personnalité.
Ensuite une phase d’acceptation, puis une phase de détachement. Cela fait partie intégrante de ce que je suis au même titre que ma taille ou autre caractéristique. J’ai aussi pris du recul par rapport à cela. Le HPI est une chance et il est indispensable pour moi de le savoir.
.COMMENT JE L’EXPLIQUE À UNE PERSONNE QUI N’EN A JAMAIS ENTENDU PARLER
Je ne lui explique que si je la sens à l’écoute, sinon quel intérêt ?
Ça n’est pas le genre de sujet que l’on aborde comme cela. Il faut une certaine connexion avec la personne. Si la connexion est là, les choses se font naturellement.
.LA REMARQUE QUI M’A LE PLUS SCOTCHÉ LORSQUE J’EN AI PARLÉ
En réalité, il y a quelque-chose d’incroyable qui se passe depuis ma découverte. Les choses se font naturellement. Je me sens enfin alignée. Et lorsque j’évoque le sujet avec des proches, ils me disent, et bien oui, on le savait que tu étais HPI. Ça se voit… tu réussis à faire beaucoup de chose dans des domaines complexes et qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. J’ai donc été étonnée de voir à quel point les personnes de mon entourage pouvaient percevoir quelque-chose d’exceptionnel dans mon quotidien qui me paraissait tout à fait normal…
.CE QUE JE M’AUTORISE DEPUIS
Je me suis autorisée à reprendre le banc de l’école à la quarantaine et je viens de terminer un Master à Sciences Po Paris. Je m’engage davantage dans ce qui fait sens pour moi. Et surtout je ne m’encombre plus de relations inutiles. Depuis, je n’ai jamais eu autant d’ami·es.
J’aime aussi vraiment rigoler et l’humour décalé.
ÊTRE SÉRIEUSE SANS SE PRENDRE AU SÉRIEUX.
.CE QUE CELA SUSCITE CHEZ LES AUTRES LORSQUE J’EN PARLE
Pour mes proches cela n’a strictement rien changé. J’en parle très ouvertement maintenant et j’assume tout à fait de l’être. Après, je ne vois pas l’intérêt d’en parler spontanément si la discussion ne s’y prête pas.
Du coup lorsqu’il m’est arrivé d’en parler, c’est uniquement avec des personnes avec une très grande intelligence relationnelle (qu’elles soient HPI ou non). J’aimerai que l’on arrête de créer un fossé entre 2 mondes qui n’existent que dans l’imaginaire des personnes à problèmes. Les personnes HPI sont comme tout un chacun avec des aptitudes différentes.
Mais cela ne signifie pas qu’il existe une frontière entre les 2 mondes. Nous avons tous besoin de relations sociales riches.
.CE QUI M’ÉNERVE DANS LA DOUANCE
D’une manière générale, je pense que c’est vraiment une chance. Mais parfois j’aimerai me contenter de moins de choses. J’ai ce besoin incessant de découvertes, d’apprendre de nouvelles choses. C’est parfois un peu fatigant je l’avoue.
Mais de le savoir permet de canaliser cette envie vitale de découvertes.
Je ne supporte pas la manière dont certains médias s’emparent du sujet sans creuser davantage. Non, on n’est pas « diagnostiqué » Haut Potentiel Intellectuel. Ça n’est pas une maladie. Un professionnel « détecte » le HPI par des tests étalonnés selon une courbe de Gauss. Donc non il n’y a pas plus ni moins d’HPI qu’avant, il y a environ 2% de la population qui est HPI.
C’est pour cela que j’ai décidé de m’engager en tant que bénévole au sein de MENSA comme Déléguée nationale aux relations médias. Pour pouvoir œuvrer pour une meilleure connaissance du sujet auprès du grand public.
.CE QUE J’AIMERAIS METTRE EN AVANT DE LA DOUANCE
J’aimerai que tout parent qui s’interroge par rapport à son enfant ou tout adulte qui se sent concerné ose franchir le cap du test. Il y a également un bon nombre de femmes qui n’osent pas se l’avouer. Dans un esprit de sororité, je souhaiterais leur dire que si elles doutent c’est normal, mais il faut oser passer les tests!
Je suis ouverte à la discussion sur le sujet.
.CE QUI EST LE PLUS DIFFICILE PERSONNELLEMENT
Les tâches rébarbatives et/ou trop simples. J’ai la sensation d’être bête avec des consignes basiques… car elles me semblent vraiment trop simplistes…
.CE QUE J’ADORE PERSONNELLEMENT
L’excitation de comprendre quelque-chose de complexe. La facilité avec laquelle j’arrive à « automatiser » certaines tâches de la vie quotidienne. Toujours dans l’objectif de me simplifier la vie. Ma joie de vivre et ma curiosité intellectuelle.
.L’OUTIL OU LA PRATIQUE BIEN-ÊTRE QUI M’AIDE LE PLUS
Le juste équilibre de tout. Un équilibre entre sport, nourriture intellectuelle, besoin de connexion avec les autres, mais également pouvoir avoir des moments où je me retrouve seule.
.UNE REPRÉSENTATION QUE JE VEUX BATTRE EN BRÈCHE
Que les surdoués sont forcément ennuyeux, pas fun. La preuve en est ma 2ème fille qui est HPI également et très en avance (elle a appris à lire seule à 3 ans et 8 mois). Elle ne passe pas une journée sans rire aux éclats et nous faire des jeux de mots. Elle est entourée de pleins d’amis et est très joyeuse. On est bien loin du cliché du petit génie torturé.
.CE QUE JE VEUX DIRE AUX SURDOUÉ·ES
Tout va bien, si ça n’est pas le cas, faites-vous aider ! Ou prenons un café.
.CE QUE JE VEUX DIRE AUX PERSONNES NON CONCERNÉES
Tout va bien également, heureusement que vous êtes là ! J’apprends également aussi beaucoup des autres donc heureusement qu’il n’y a pas que des HPI. Il n’y a pas une frontière absolue entre 2 univers. La diversité c’est ce qui fait la richesse de notre monde.
.CE QUE JE RECOMMANDE À UNE PERSONNE QUI S’INTERROGE
Qu’elle ose en parler. Non ça n’est pas tabou.
.L’ERREUR À NE PAS COMMETTRE POUR UN·E SURDOUÉ·E
Vouloir tout contrôler, être sans arrêt dans la suradaptation. S’adapter oui, mais pas de suradaptation. Et c’est valable dès l’enfance. Et davantage encore pour les filles.
.MON CONSEIL DOUANCE (VIE) PROFESSIONNELLE
L’environnement professionnel est le plus important, il ne faut pas seulement prendre en compte les tâches qui incombent au poste.
.MON CONSEIL DOUANCE (VIE) PERSONNELLE
Les mêmes conseils que pour tout le monde : dialogue, écoute et respect. Savoir bien s’entourer est la clef de tout réussite.
.UN LIVRE À LIRE SUR LE SUJET
Un livre qui n’existe pas encore…. Je suis peut-être un peu sévère. Mais il existe à la fois des livres témoignages de HPI, des livres grand public (avec effet barnum), des livres un peu plus scientifiques, rares (mais qui peuvent être trop pointus). Mais pas de livre accompagnant pas à pas la découverte du HPI et permettant de porter une attention particulière à l’aspect scientifique et émotionnel en parallèle. Qui se lance ?
.MON AVIS SUR LE TEST DE QI WAIS
Il pourrait être plus précis sur certains items ou subtests. Par ailleurs, il ne mesure pas l’aptitude relationnelle qui est un élément clef pour être épanoui. Toutefois, il est le seul test pour adulte suffisamment fiable pour pouvoir donner une indication sur un HPI ou non. J’ai la chance d’avoir un profil assez homogène sur le verbal et le logico-mathématique. Les limites de ce test sont surtout pour les profils très hétérogènes qui peuvent davantage douter. Il est donc très important de trouver un professionnel qui connaisse vraiment bien le sujet et qui soit en mesure de détecter des troubles potentiels associés. C’est prouvé le HPI peut masquer certains troubles Dys, TDAH, TDA… car le HPI va compenser. Mais à quel prix !
.EST CE UN GÂCHIS DE NE PAS SE SAVOIR SURDOUÉ·E ?
Oui, clairement, car c’est ce qui peut conduire à des décalages. Après, il faut aussi savoir passer à autre chose et l’intégrer tout simplement. Depuis que je le sais je suis moins virulente lorsque quelqu’un semble ne pas me comprendre. Ça n’est pas grave, on ne peut pas être compris et aimé par tous.
.QUAND JE CROISE UN·E AUTRE SURDOUÉ·E, JE LE RECONNAIS ? A QUOI ?
Souvent, mais honnêtement je recommande toujours à la personne d’aller passer un test. Priscille Mahé fait partie de ces personnes-là !
.QU’EST CE QUI RASSEMBLE LES SURDOUÉ·E·S ?
Mensa … une association de 4000 membres en France (et plus de 145 000 membres dans le monde !).
Plus sérieusement chaque personne HPI est unique.
.LA DERNIÈRE CHOSE QUE J’AI APPRISE SUR LE SUJET (QUE J’AIMERAIS PARTAGER)
Qu’il y a des HPI très bêtes ! Ou plutôt que le HPi n’est pas une garantie de bienveillance et du respect d’autrui.
.UN SOUHAIT POUR L’AVENIR
Que l’on en parle davantage et que cela soit accepté. Sans fascination, sans diabolisation.
Les personnes à HPI sont comme les autres, avec leurs forces et leurs faiblesses. Pour ma part, je prône les valeurs de partage, d’entre-aide, de bienveillance. Cela peut avoir un côté un peu utopiste, mais nous sommes certains à partager ces valeurs.
.UNE INTUITION SUR LE SUJET
J’ai rencontré des personnes au sein de l’éducation nationale formidables.
J’aimerai que l’on puisse parler davantage du sujet au sein des écoles. Je pense que des personnes sont vraiment engagées sur le sujet. C’est dès l’enfance qu’il faut aborder correctement le sujet…
Et non, on ne donne pas le score d’un test à un enfant HPI. Il n’est pas armé pour comprendre cela. On lui explique sa différence et ses particularités afin qu’il puisse s’intégrer dans des écoles normales avec un aménagement possible.
