Aujourd’hui, Nicolas Gauvrit nous livre sa vision de la douance par le biais du questionnaire Ma douance du tac au tac. Merci Nicolas! Il est enseignant chercheur en sciences cognitives, auteur d’ouvrages (notamment) sur le Haut Potentiel. Nicolas vit actuellement à Paris.
.SI JE POUVAIS CHOISIR, SERAIS-JE SURDOUÉ·E?
Oui. J’y vois plus d’avantages que d’inconvénients.
.CE QUE C’EST ÊTRE SURDOUÉ·E POUR MOI
Quand j’ai ma casquette de chercheur, c’est quelqu’un qui a un QI supérieur à 130.
Quand j’y pense de manière plus philosophique et que je n’ai pas besoin d’une définition simple et objective, je dirais qu’une personne à Haut Potentiel est une personne qui pourrait révolutionner le monde intellectuel, qui en a les capacités.
.SI JE DEVAIS CHOISIR UNE IMAGE OU UN MOT CLÉ QUI RÉSUME CE QUE C’EST ÊTRE SURDOUÉ·E
Performant.
.DEPUIS QUAND AI-JE ENTENDU PARLÉ DU SUJET
En 2010, lors d’une conférence, j’ai entendu parlé du terme de surdoué. Sinon cela a été évoqué plusieurs fois pendant mon enfance et mon adolescence.
.PAR QUELLES PHASES JE SUIS PASSÉ.E DEPUIS LA DÉCOUVERTE
Un peu comme tout le monde, je vivais un sentiment de décalage important, mais pas uniquement dû au Haut Potentiel. Quand on se reconnaît dans les descriptions – que ce soit vrai ou pas – on a un sentiment de révélation au moment de la découverte du Haut Potentiel. « C’était ça en fait le problème, c’est pour ça que j’avais des difficultés ! ». Depuis j’ai un peu compris que mes difficultés venaient d’ailleurs (rire). Mais enfin, ça peut jouer.
Donc un sentiment de révélation qui explique qui on est. Puis avec le recul, on nuance un peu tout ça et on intègre le Haut Potentiel comme un des éléments de son identité sans en faire un point central.
.COMMENT JE L’EXPLIQUE À UNE PERSONNE QUI N’EN A JAMAIS ENTENDU PARLER
En général, je nuance plutôt tout ce qu’on raconte d’habitude pour dire que la différence n’est pas aussi importante et nette que ce qu’on dit entre les personnes concernées par le HPI et celles qui ne le sont pas.
Je parle plutôt de continuum. Je parle du QI, quel type d’intelligence ça mesure exactement en expliquant qu’à chaque fois qu’on trouve des différences entre les HPI et les autres, il y a un continuum. Exemple : plus le QI augmente, plus (… une caractéristique est développée).
Il reste toujours un grand recouvrement entre les HPI et les autres. Par exemple, on peut avoir un sens de l’humour extraordinaire et ne pas être Haut Potentiel, même si c’est un atout pour l’humour.
Autrefois, je me basais surtout sur la définition par le QI, car c’est la plus consensuelle. Maintenant, je présente aussi d’autres définitions, notamment le modèle des trois anneaux de Joseph Renzulli : l’intelligence ne suffit pas, il faut aussi de la créativité et de l’engagement dans la tâche pour réussir de grandes choses. Quand on y réfléchit ne parler que du QI est réducteur, même si c’est intéressant, car c’est simple et objectif et permet d’avoir des indications sur ce qui se passe chez les personnes HPI.
.EN QUOI CELA A CHANGÉ MA VIE (DE LE SAVOIR)
Du point de vue personnel, intérieur, à part ce sentiment de révélation passager, qui s’est ensuite estompé, cela n’a pas vraiment changé ma vie.
Du point de professionnel, cela a fait que je me suis trouvé à faire des recherches sur le sujet. En 2010, j’assiste à une conférence. Le thème m’intéresse. Je lis des livres, je vois qu’il n’y a pas du tout de référence scientifique. Je me dis que je vais refaire le même livre que tout le monde avec des références scientifiques (par exemple : “comment on sait qu’ils sont hypersensibles, empathiques”). J’ai commencé mes lectures et j’ai découvert que souvent on ne savait pas, ou on savait exactement le contraire (comme par exemple, pour l’anxiété ou encore l’échec scolaire où c’est particulièrement clair). Dans beaucoup de bouquins, on nous explique que le Haut Potentiel est un facteur d’échec scolaire au collège ou au lycée. En fait, les études sur des millions de personnes montrent que c’est un facteur de réussite, à tous les niveaux, dans toutes les matières. J’étais assez étonné. Du coup, mon livre (Les surdoués ordinaires) s’est trouvé être un livre de « débunkage », alors que ce n’était pas l’objectif au départ. Puis, à la suite du livre, on m’a demandé de faire des conférences, etc.
Cela a donc changé ma vie professionnelle, puis personnelle, car c’est ainsi que j’ai rencontré ma femme dans le milieu des personnes qui s’intéressent au HPI.
.CE QUE CELA SUSCITE CHEZ LES AUTRES LORSQUE J’EN PARLE
Je suis toujours étonné que ce soit un sujet si sulfureux et polémique.
Je me souviens d’une première conférence de l’AFEP. Certaines personnes de l’assistance sont venues me dire après : « Enfin quelqu’un qui dit que le Haut Potentiel, ce n’est pas un problème, ce n’est pas un trouble. Merci, merci » et d’autres qui ont téléphoné à la direction pour que je ne sois plus invité. Ce sujet est très polarisé et ça m’étonne vraiment.
.CE QUI M’ÉNERVE DANS LA DOUANCE
Le peu de cas qu’on fait de la vérité. C’est dans tous les domaines, mais comme c’est un des domaines qui m’intéressent…
Par exemple, un autre de mes thèmes de recherche est la complexité de Kolmogorov. Sur ça, il n’y a pas de polémique. Tout le monde s’en fout (rire).
Le HPI m’intéresse d’un point de vue scientifique et ça m’agace d’être face à des gens qui se fichent de la vérité. Je ne parle pas pour obtenir un effet politique, j’essaie juste de dire le vrai.
.CE QUE J’AIMERAIS METTRE EN AVANT DE LA DOUANCE
C’est beaucoup plus une chance qu’une difficulté. Les difficultés qu’on peut rencontrer par exemple au niveau de l’intégration sociale au collège, ça passe. Les élèves HPI sont plutôt bien vus des autres au primaire (car on valorise la réussite), puis à nouveau au lycée (quand le bac approche et que c’est utile d’avoir des copains qui comprennent) et à l’université.
Il peut y avoir un passage difficile au collège, mais ça passe et c’est plutôt un atout.
.CE QUI EST LE PLUS DIFFICILE PERSONNELLEMENT
À une époque, j’avais l’impression que les gens ne comprenaient rien de ce que je racontais, mais ce n’est plus le cas. Maintenant, je ne vois pas de difficultés. Mais c’est peut-être aussi parce que je suis dans un milieu particulier.
.L’OUTIL OU LA PRATIQUE BIEN-ÊTRE QUI M’AIDE LE PLUS
Ce n’est pas non plus typique ou spécifique des Haut Potentiels, mais j’ai tendance à papillonner, j’en ai besoin. Je change tous les 5, 6 ans de thème de recherche, je travaille à la fois sur le Haut Potentiel, sur la mémoire de travail, sur la perception du hasard et l’esprit critique.
J’ai l’impression que ça m’aide de papillonner. J’ai besoin d’avoir du nouveau. Les thèmes qui sont bien étudiés depuis longtemps, où il faut chercher la petite bête, ça m’ennuie.
.UNE REPRÉSENTATION QUE JE VEUX BATTRE EN BRÈCHE
L’idée que c’est surtout un problème.
Le plus dingue est cette idée que ça pourrait être un facteur d’échec scolaire. C’est à la fois contre-intuitif et contraire à des dizaines de méta-analyse dans tous les pays dans le monde (des millions de personnes).
Ou encore l’idée que le Haut Potentiel serait un facteur d’anxiété (on a 14 études sur le sujet, qui portent à chaque fois sur des centaines de personnes).
.CE QUE JE VEUX DIRE AUX SURDOUÉ·ES
Essayez de bien faire la différence chez vous entre ce qui relève du Haut Potentiel et ce qui n’en relève pas. Ne pas tout attribuer au Haut Potentiel.
.CE QUE JE VEUX DIRE AUX PERSONNES NON CONCERNÉES
Encore une fois : cette histoire de continuum. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas concerné, qu’on est radicalement différent, qu’on a une autre façon de penser. Il ne faut pas s’imaginer que les personnes HPI sont une espèce à part.
Pour plein de choses, on peut compenser facilement, être très brillant et réussir très bien avec une intelligence dans la moyenne, si on a d’autres qualités comme l’engagement dans la tâche. Il y a d’autres choses très importantes comme la créativité, pas tellement liée au QI. On peut aussi s’imaginer que parmi les grands artistes, il y a des gens très créatifs, mais pas HPI au sens du QI. A l’inverse, avoir un QI important ne suffit pas.
L’intelligence au sens du QI ne doit pas être LA valeur d’un être humain, c’est une des caractéristiques parmi d’autres, pas plus importante que la créativité, la valeur morale…
.CE QUE JE RECOMMANDE À UNE PERSONNE QUI S’INTERROGE
Je lui conseille de consulter un psychologue pour savoir si c’est une bonne idée de se faire tester et les raisons pour lesquelles elle veut se faire tester.
Mes collègues psychologues mettent en garde contre les tests automatiques. Il faut faire attention, car si la personne découvre qu’elle est HPI, ça peut la bouleverser complètement au point de lui faire prendre de mauvaises décisions et à l’inverse pour certains apprendre qu’ils ne sont pas à Haut Potentiel, ça peut faire qu’ils s’effondrent complètement, car ils s’étaient accrochés à ça. Par exemple, une personne a plein de difficulté dans la vie, attribue tout à l’intelligence et on lui dit – le cas typique – qu’elle est dans la norme haute sans avoir une intelligence exceptionnelle. Tout s’effondre, la personne n’a plus d’explication et ça peut être dramatique pour elle.
C’est un psychologue qui peut éclairer tout cela, car c’est au cas par cas.
.MON CONSEIL DOUANCE (VIE) PROFESSIONNELLE
Un conseil qu’on pourrait donner à tout le monde : ne pas renoncer à l’idée d’avoir un métier qui nous plait, car on y passe beaucoup de temps.
Et ce qui convient à certains ne convient pas à d’autres. Personnellement, j’ai besoin d’être libre dans mon métier. J’ai choisi de faire de la recherche dans le public, car je suis complètement libre de mes thèmes de recherche. Ce n’est pas le cas dans le privé où le thème est imposé, mais le privé a beaucoup d’avantages, notamment pour les financements, c’est beaucoup plus simple. Certains seront mieux dans le privé et d’autres dans le public par exemple.
Et j’ajouterais qu’on n’a pas non plus à se sentir obligé d’embrasser une carrière intellectuelle parce qu’on en est capable : l’épanouissement personnel ce n’est pas la même chose que l’épanouissement du potentiel.
.UN LIVRE À LIRE SUR LE SUJET
Ca dépend de ce qu’on cherche !
Si on cherche un état des lieux des connaissances, quelque chose de vraiment abouti, sous toutes les coutures, je recommande « Psychologie du Haut Potentiel » qu’on vient de publier avec Nathalie Clobert. J’en suis très fier, je le vois comme une vrai référence, notamment pour les professionnels et le grand public motivé.
Si on veut une aide pratico-pratique pour la vie de tous les jours, pour soi ou ses enfants, ce n’est sans doute pas l’idéal. Je recommande alors les autres livres de Nathalie Clobert, plus orientés développement personnel et solutions.
.MON AVIS SUR LE TEST DE QI WAIS
J’entends surtout des critiques, alors j’ai tendance à dire que le test est très bien.
Les différents indices ne sont pas forcément homogènes si bien que le QI total n’est pas forcément représentatif de la personne.
C’est influencé par plein de choses : si on le passe le matin ou l’après-midi, si on s’entend bien avec la·le psychologue, si on est déprimé·e ou pas, etc. Normalement, les psychologues sont censé·es se rendre compte de ça.
Ce sont donc des mises en garde à faire.
Ensuite, le test est censé mesuré le facteur g. Ce n’est pourtant pas exactement le facteur g, c’est une estimation. Mais pour répondre aux critiques, le facteur g est quelque chose de bien défini (une des choses les mieux appuyées en psychométrie), et c’est une des définitions possibles de l’intelligence.
En bref, le test est utile et satisfaisant, mais avec quelques mises en garde.
.EST CE UN GÂCHIS DE NE PAS SE SAVOIR SURDOUÉ·E ?
Pas forcément. Souvent, je ne crois pas que ce soit un gâchis, car ça se passe bien.
Par contre, c’est un gâchis, si on finit par être dégouté de l’école parce que tout est trop facile et qu’on veut sortir le plus vite du système scolaire, on se retrouve à avoir un métier très en dessous de ce qu’on pourrait espérer et désirer. Là, c’est un gâchis.
.QUAND JE CROISE UN·E AUTRE SURDOUÉ·E, JE LE RECONNAIS ? A QUOI ?
Ce n’est pas qu’entre personnes à Haut Potentiel qu’on se reconnaît. On reconnaît les personnes plus ou moins intelligentes (et on peut se tromper).
On se base sur des indices qui sont la vitesse d’élocution, le niveau de langage, la mémoire, etc. Il y a des choses assez manifestes, qui interviennent dans le QI.
.QU’EST CE QUI RASSEMBLE LES SURDOUÉ·E·S ?
Je ne suis pas sûr qu’il y a quelque chose qui les rassemble. Il y a quasiment autant de diversité entre les personnes HPI que tous les autres êtres humains. Je ne crois pas qu’il y ait un déterminant commun autre que l’intelligence dans les 2,3% supérieurs.
.LA DERNIÈRE CHOSE QUE J’AI APPRISE SUR LE SUJET (QUE J’AIMERAIS PARTAGER)
Il se trouve qu’on est train d’analyser des données monumentales (250 000 personnes), une grosse base de données britannique, on a regardé ce qu’il y avait de particulier. Dans les choses étonnantes, on s’est rendu compte qu’il y avait plus de comportements homosexuels chez les personnes HPI. Ça rejoint des études plus anciennes, qui le suggéraient, mais cette fois vu la taille de l’échantillon, c’est assez sûr.
.UNE INSPIRATION DOUANCE D’UN AUTRE PAYS
Cela me paraît intéressant ce qui se passe depuis longtemps en Israël.
En Allemagne, il y a plusieurs grands programmes d’études sur les personnes à Haut Potentiel – adultes et enfants – notamment sur les programmes d’enrichissement. Ils consistent à nourrir les enfants HPI en dehors de l’école, tout en les laissant dans le parcours scolaire. Cela leur laisse la possibilité d’avoir des contacts sociaux favorables ou simplement d’être mieux nourris intellectuellement.
.UN SOUHAIT POUR L’AVENIR
En France, j’aimerais qu’on fasse plus à l’école pour les élèves à Haut Potentiel. On est dans un système parfois trop égalitariste en disant « ils ont déjà bien de la chance, on ne va pas se décarcasser pour eux » d’un côté. On trouve d’un autre côté des filières d’élite, mais on menace régulierment de les fermer… il pourrait y avoir plus de continuité dans les aides.